L a vie de Raoul Cérusier, courtier en publicité, prend une tournure fantastique le jour où le destin lui joue un tour bien singulier. Du jour au lendemain, il se voit affublé d’un nouveau faciès. Lui, le bourgeois moyen par excellence, se retrouve d’un coup avec le visage d’un séducteur. Là où d’autres y auraient vu une deuxième chance, le pragmatisme et la médiocrité de Raoul vont le pousser à vouloir retrouver sa place habituelle, auprès de sa femme et de ses enfants. Malgré les possibilités, tant professionnelles que sentimentales, que lui offre cette situation, c’est bien vers sa famille que son instinct le renvoie, ou le retient. Apprenant à composer avec sa nouvelle identité, il va lutter contre l’évidence des défauts de sa véritable personnalité et essayer à tout prix de se rapprocher des siens. Aidé de l’oncle Antonin, il va jouer un jeu dangereux en essayant de séduire son épouse, sous les traits d’un autre. Va-t-il y réussir ou va-t-il au contraire tout détruire, de la confiance en celle qu’il croyait fidèle à jamais, à l’estime qu’il se portait à lui-même ? Cyril Bonin continue ses pérégrinations dans une certaine littérature française. Après avoir approché celle de Maurice Leblanc dans sa Chambre Obscure, il adapte ici le roman éponyme de Marcel Aymé (La Jument Verte, Le Passe-Murailles). S’il élague le récit de certains personnages, il en conserve la quintessence en se focalisant sur l’acceptation par Raoul de sa « médiocrité » et son entêtement à retrouver une vie « normale ». Au dessin, il s’essaie à un style plus « jeté », délaissant son encrage fin habituel pour un trait plus proche du crayonné. On pourra le regretter. Le recours, nécessaire, à la voix off et la présence importante du texte auraient peut-être mérité la finesse et la légèreté qu'on lui connaît habituellement. Néanmoins, son style est toujours présent et sied à merveille à l’atmosphère du récit. Pour ceux qui suivent, avec intérêt et avec raison, la carrière de l’auteur, il n’y a aucune raison de bouder cet album. Pour ceux qui ne connaissent pas ce dessinateur, qu’ils n’hésitent pas à plonger, ou replonger, dans l’histoire de Marcel Aymé !